LA CRISE DE LA PSYCHIATRIE PUBLIQUE

Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire l’état actuel de la psychiatrie publique et les responsables de tous bords ont dressé un bilan préoccupant de la situation : nous avons plus qu’amorcé une régression qui s’apparente à une re-institutionnalisation asilaire en bonne et due forme. Ce mouvement inverse toute la dynamique de secteur instaurée depuis fort longtemps et met en péril l’ensemble de la psychiatrie publique. Cet état de crise engendre un sentiment de souffrance aiguë chez les acteurs pourtant dévoués corps et âmes à leur métier. Il tire ses racines de plusieurs facteurs qui s’entrecroisent et dont les responsabilités paraissent partagées.

Sans être exhaustif, citons quelques-unes d’entre elles :

• Certains ont utilisé la Psychiatrie Publique comme un lieu où le sécuritaire s’impose face au psychopathologique et à l’ouverture vers la cité. Nous avons certainement sous-estimé cet enjeu et nous avons baissé la garde face à cette tentation du retour en force du « grand enfermement » qui semble être le mandat social actuellement assigné à la Psychiatrie Publique dans un contexte sociétal moins tolérant.

• En parallèle, les conséquences de la certification, de la qualité à tout prix et de la gestion des risques ont été insuffisamment appréhendées : les processus, les normes, le codage et la gouvernance administrative se sont progressivement imposés face au fait clinique et à la relation soignant/soigné. Les professionnels de la Psychiatrie Publique ont ainsi le sentiment, largement partagé, d’avoir perdu progressivement le sens de leur travail.

• En même temps, la Psychiatrie Publique se trouve chargée de nouvelles demandes de prises en charge : Urgences, précarité, crise suicidaires, soins aux détenus, migrants, HAD, personnes âgées, soins aux adolescents et jeunes adultes, équipes mobiles, comorbidités somatiques, soins pénalement ordonnés, psychotraumatismes, radicalisation… pour la plupart du temps sans moyens supplémentaires, quand ce n’est pas avec une réduction de moyens. On observe par ailleurs des demandes croissantes du médico-social et du social et l’avènement de nouveaux troubles psychiatriques complexes. La tête dans le guidon, sans moyens ni appuis supplémentaires, et avec des structures souvent saturées, nous n’avons pas pu accompagner ces changements de manière à mieux adapter l’offre de soins dans une réorganisation du dispositif au sein d’un secteur réellement rénové. Une réforme que nous appelons, depuis fort longtemps, de tous nos vœux.

• La diminution très conséquente du nombre de lits ces dernières années sans augmentation équivalente et parallèle des capacités vouées aux alternatives à l’hospitalisation a certainement joué un rôle important dans l’état de crise actuelle.

• Les regroupements des GHT polyvalents, pour nécessaires qu’ils soient, n’ont pas permis la construction de véritables filières psychiatriques et ne se sont pas accompagnés par la mise en œuvre opposable des Communautés Psychiatriques de Territoire (CPT). La Psychiatrie Publique et ses acteurs ont ainsi le sentiment d’être dilués dans un magma peu compréhensible pour eux, de ne pas avoir d’emprise sur leur devenir ou d’être des variables d’ajustement des GHT polyvalents.

• Des financements constamment réduits, mal répartis et mal adaptés minent le quotidien des prises en charge des patients, épuisent les professionnels et freinent les ambitions novatrices.

• Last but not least, la démographie médicale déclinante (1.000 postes de PH actuellement vacants dans les EPSM et leurs secteurs) pèse lourd. Elle est la conséquence, au moins pour partie, des difficultés précédentes et du manque d’attractivité des carrières hospitalières : de nombreux jeunes collègues partent ainsi dans le privé ou le salariat privé. Ce manque d’attractivité de la fonction publique hospitalière se traduit par le manque d’infirmiers, de médecins et le développement de l’intérim et du mercenariat…

La situation de la Psychiatrie Publique est fortement dégradée. Elle exige des réponses multiples et urgentes. Toutefois le nivellement ne devrait pas se faire par le bas en déshabillant Pierre pour habiller Paul ou par des rustines de circonstance !

Nous pensons qu’une loi-cadre réhabilitant la Psychiatrie Publique est indispensable. Elle devrait préciser ses missions, ses modalités de financement à la hauteur des enjeux de Santé Publique (15 % de la population susceptible d’être prise en charge par la Psychiatrie vie durant), ses articulations avec les GHT et l’organisation des Communautés Psychiatriques de Territoire (CPT). Elle devrait introduire des orientations fortes, des objectifs clairs et des priorités d’améliorations en tenant compte des spécificités régionales et à l’échelon de chaque territoire.

Le 08 Janvier 2019

Docteur Michel TRIANTAFYLLOU

Président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP)

Article – Le quotidien du Médecin – Crise Psychiatrie